Rare...vraiment?
Publié le June 20th, 2023
J’ai récemment vu beaucoup de publications sur les médias sociaux de propriétaires de bouledogues français qui expliquaient que leurs bouledogues français de couleur dite exotique (bleu, lilas, merle, brun chocolat, noir et tan (beige), tous les dérivés de tan point, lilas et isabella) sont plus chers que les chiens de couleur standard (bringé, fauve masque noir, fauve, crème et caille) parce qu’ils sont plus «rares».
Bon, me suis-je dit, il est temps de déboulonner un autre mythe.
Pour bien comprendre le principe de la couleur d’un bouledogue français, il faut savoir que les couleurs dites exotiques sont en fait l’expression de gènes récessifs. Ainsi, pour obtenir un chien gris (qu’on appelle communément bleu) il est nécessaire que les deux parents soient porteurs du locus D, qui est le gène de la couleur diluée. Cependant, sans test génétique, il est impossible de savoir si le chien est porteur du gène puisque si son bagage génétique n’a qu’une seule copie de ce locus, le chien sera de couleur standard.
Ainsi, avant que les tests d’ADN ne permettent de tester les reproducteurs pour les gènes de couleurs, obtenir un bouledogue français bleu dans un élevage découlait soit du hasard (certains vous diront de la chance), soit de la reproduction d’un chien qui porte le gène et d’un chien qui est bleu, soit de la reproduction de deux chiens bleus[1]. Cependant, une telle sélection des gènes récessifs était plus difficile et l’obtention de chiens de couleur exotique plus inhabituelle. En conséquence, à une certaine époque, les couleurs exotiques étaient effectivement plus «rares».
Aujourd’hui, avec les tests, il est possible de prévoir ce que l’on va obtenir comme couleurs dans une portée de chiots si on connaît le code génétique des parents. Il existe même des logiciels et des applications qui permettent aux éleveurs de prédire avec une certaine certitude les couleurs issues d’un accouplement. Cela permet également la recherche de reproducteurs portant un code génétique de couleurs spécifiques afin d’obtenir les chiots de la couleur désirée. C’est pour cette raison qu’on lit souvent des annonces de chiots où l’éleveur explique que le chien est «lilas et tan, porteur de crème» ou «At/a Dd Bb kyky».
Bref, depuis l’apparition des tests génétiques, il n’est plus du tout exceptionnel d’obtenir un bouledogue français de couleur exotique, au contraire, c’est plutôt devenu la norme.
J’ai répertorié plus de 82 éleveurs de bouledogues français au Québec (et il en manque). Sur les 82, seulement 19 se consacrent aux couleurs standard, 15 ont des chiens de couleur exotique et standard (je n’en connais qu’une seule qui s’assure de ne pas reproduire l’un avec l’autre) et 48 se consacrent uniquement aux couleurs exotiques. C’est donc dire que moins du quart (23%) des éleveurs reproduisent encore des chiens de couleur standard.
Alors me direz-vous, qu’est-ce qui explique la différence de prix? Pourquoi un chiot dont la couleur est plus répandue coûte-t-il plus cher?
C’est une bête question d’économie de marché : si une chose devient à la mode et que tout le monde veut l’acheter, son prix va monter. De plus, lorsque les prix montent, les producteurs vont vouloir s’y mettre avec l’impression que «c’est payant». Le bouledogue français ne fait pas exception : on comptait moins de 100 spécimens au Canada en 1992 et uniquement trois éleveurs… Aujourd’hui, le bouledogue français est au cinquième rang des races les plus populaires au Canada.
Mon conjoint a l’habitude de me dire qu’une chose (ou un animal) vaut ce que l’on vient bien débourser pour l’obtenir et il a tout à fait raison (chut, svp, ne le lui dites pas). En effet, qu’est-ce qui justifie un éleveur de vous dire si vous réservez un chiot lilas, il va être 4000$ mais si vous choisissez le noir et tan, le chiot va coûter 3000$? Quand on y pense, absolument rien (à moins que vous ne vouliez faire de la reproduction et obtenir une couleur spécifique) parce que les chiots ont les mêmes parents, le même pedigree et ont demandé le même investissement et le même travail à l’éleveur. En fait, l’éleveur propose un chiot à un prix supérieur parce qu’il sait qu’il va y avoir de la demande pour ce chiot et qu’il n’aura aucune difficulté à le vendre, ce qui n’est pas forcément le cas de l’autre chiot[2].
J’ai choisi personnellement de ne pas produire de bouledogues français de couleur exotiques parce que je préfère un chiot dont la structure est la plus près possible du standard. Ceci étant dit, il m’est arrivé de payer des sommes faramineuses pour un chiot parce qu’il correspondait à des critères très précis que je recherchais. Ainsi, la reproduction d’un chien pour maintenir certaines caractéristiques implique nécessairement de faire des choix qui se font parfois au détriment d’autres aspects. Malheureusement, reproduire pour produire une couleur en particulier demande de faire des compromis et de sacrifier certains aspects du chien, dont la structure et cela constitue une ligne que je ne souhaitais pas franchir. Ceci étant dit, tout demeure une question de préférence personnelle.
On dit que la beauté est dans l’œil de celui qui regarde. Comme la beauté, la valeur d’un chiot est dans la main de celui qui tient le portefeuille. Les bouledogues français de couleur exotique ne sont pas plus dispendieux parce qu’ils sont plus rares, ils sont plus dispendieux parce qu’ils sont plus en demande, tout simplement.
[1]Ceci n’est pas étonnant si l'on tient compte du fait que l’exclusion de la couleur bleue du standard américain du bouledogue français remonte à 1926. [2]Là-dessus, je persiste et signe : un chiot ne devrait jamais être choisi et vendu en fonction de sa couleur uniquement. Le premier critère devrait toujours demeurer de s’assurer que le chiot est placé dans une famille en fonction de sa personnalité et de sa compatibilité avec la famille adoptive. La santé et la qualité de sa conformation passent ensuite. La couleur, c'est rien d'autre qu'un petit plus!